Pistes de compréhension de la situation actuelle – Pourquoi Pashinyan doit démissionner ?

Après l’annonce de la signature du traité de capitulation, l’ensemble du champ politique arménien s’est accordé sur la demande de démission du Premier ministre, demande présentée aussi par le Président de la République d’Arménie, Armen Sarkissian. Tous sauf le parti du Premier ministre, « Im Kayl ». Certains députés de la majorité commencent à présenter leur démission un par un : 4 d’entres eux ont déjà présenté leur démission à ce jour Vardan Atabekyan, Gayane Abrahamyan, Taguhi Tovmasyan, Lusine Badalyan. 

Notons également la démission du Ministre des Affaires étrangères, Zohrab Mnatsakanyan, qui n’avait même pas été consulté pour la négociation de ce traité[1], ainsi que Shavarsh Kocharyan du même Ministère. Ont démissionné également la ministre de l’environnement Irina Ghaplanyan (suivie de son représentant presse Davit Grigoryan), le Ministre des situations exceptionnelles Feliks Tsolakyan, le Directeur de Cabinet du Vice Premier ministre, Varak Sisserian et Karen Mirzoyan. 

Même son mentor, celui qui voulait ouvertement rendre quelques régions de l’Arstakh lorsqu’il gouvernait, Levon Ter Petrossian, demande à Nikol Pashinyan de démissionner. 

L’objectif de cette demande de démission n’est pas de « prendre le pouvoir » ou de donner le pouvoir aux « anciens » mais de permettre une nouvelle négociation du document signé, qui marque l’une des pages les plus sombres de notre histoire, ce que Pashinyan lui-même a admis. Sa démission n’est pas pour nous la finalité. Elle est le moyen qui permettra à l’Arménie de renégocier ce traité qui déshonore le peuple arménien.

Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés à cela ?

Avant la guerre : 

  1. Commençons par une brève présentation des relations extérieures : 

Avec la transition politique de 2018, qui a été perçue comme une révolution de couleur par la Russie, les relations avec les autorités russes ont dramatiquement basculé. 

Alen Simonyan, Vice-Président de l’Assemblée nationale, membre du Parti « Im Kayl » de Nikol Pashinyan, a dit publiquement pendant la guerre que « l’Arménie n’a pas besoin de l’aide de la Russie »[2]. Cette déclaration s’accompagne d’une multitude d’autres déclarations anti-russes, dont une opposition à la base militaire russe de Gyumri, notons aussi que des cadres ouvertement anti-russes ont intégrer des cercles stratégiques de renseignements et de la défense. L’assistance russe en cas de guerre éventuelle était donc nettement improbable.

A l’ère de Nikol Pashinyan et de ses relations diplomatiques, nous avons également perdu un allié frontalier de taille : l’Iran. En effet, notre Gouvernement a décidé d’améliorer ses relations avec Israël, notamment par l’ouverture d’une Ambassade à Tel Aviv ce qui a considérablement détérioré nos relations avec l’Iran, sachant que les relations et les intérêts bilatéraux entre Israël et l’Azerbaïdjan sont tellement étroites, que l’Armenie sans pétrole et avec un budget militaire limité, ne pouvait être l’allié d’Israël. Rappelons que ce qui nous a été le plus nocif lors de cette guerre, ce sont bien les drones israéliens. 

Enfin, en ce qui concerne la Chine, qui est l’un des pôles de la nouvelle ère de la guerre froide, l’une des plus grandes puissances économiques et militaires du monde, nous avons perdu tout contact amiable avec elle. Les autorités arméniennes au pouvoir ont en effet condamné ouvertement la République chinoise en comparant les atrocités faites aux Ouïghours au Génocide des Arméniens. 

  • Arayik Harutyunyan – ministre de l’Éducation nationale en Arménie, et les réformes qu’il a inscrites dans son Ministère, les nouveaux programmes éducationnels qui gommaient les grandes figures patriotiques de l’histoire arménienne et privilégiaient les notions internationales d’« humanisme ». La présentation de l’Azerbaïdjan comme un pays rival et non ennemi, les cours préliminaires présentant l’armée et l’utilisation des armes ont été retirés, l’idée d’une cohabitation et d’une coexistence a été vivement évoquée. 

Pendant la guerre : 

  • Dès les 15 premiers jours de la guerre, les territoires au sud de l’Artsakh sont passés aux mains des autorités azerbaïdjanaises, soit Hadrout, Fizouli, Jibrayil, Zankelan, ce qui a été confirmé bien plus tard et après la signature de la capitulation par le président Arayik Harutyunyan.  En se basant sur les vidéos des autorités ennemies, nous ne pouvons parler de batailles infernales : les bâtiments sont intacts. 
  • Pourtant, Ardzroun Hovhannisian qui était le porte-parole du Ministère de la Défense calmait et rassurait les esprits de la population en niant l’avancée de l’ennemi dans le sud de l’Artsakh. Il ne répondait à cela que par #Հաղթելուենք. « Nous allons gagner » était le seul mot d’ordre médiatique.  
  • Nikol Pashinyan annonce avant la guerre que la page des armes des années 1980 de notre armée est terminée[3], il se réjouit de la livraison des SU30[4] qui témoignent d’un accord militaire signé entre l’Arménie et la Russie. Après la guerre le Premier ministre accuse après 2 années au pouvoir les « anciens » pour le niveau de l’armée, et donc accuse aussi notre force militaire pour la défaite, encore une contradiction. 
  • Dès les premiers jours de la guerre, la reconnaissance de l’Artsakh ou des propositions d’une alliance politico-militaire avec l’Artsakh ont été évoquées.  L’alliance militaro-politique imposerait une assistance militaire. Le premier servirait uniquement à appuyer le bouclier diplomatique de l’Artsakh et serait une condition naturelle pour sa reconnaissance à l’international via la pression de la diaspora. Une troisième option non tellement répandue serait la fusion avec l’Arménie ce qui imposerait une intervention militaire russe dont l’Artsakh sous la souveraineté de jure de Yerevan, et cela grâce au traité de l’OTSC. Aucunes de ces options diplomatiques n’ont étés exploités.
  • Nikol Pashinyan a « politisé » l’armée. Les généraux qui osaient le critiquer n’étaient pas les bienvenus. Tous ceux qui ont participé à la libération de l’Artsakh ayant eu des propos “anti-Pashinyan”, étaient catégoriquement expulsés de l’armée[5] ou de toute fonction liée à la défense. On peut citer dans ce sens Arshavir Gharamyan, Vitali Balasanyan et Levon Mnatsakanyan. 
  • Le chef de ԱԱԾ (l’organisme qui assure la sécurité en Arménie, équivalent DGSI en France) a été remplacé à plusieurs reprises et dans un court délai : durant les 3,4 derniers mois, il a été remplacé à 6 reprises dont un remplacement en pleine période de guerre)[6]. Tout le monde sait que ce poste est important et ces changements ont porté atteinte à la stabilité et la sécurité du pays. 

La capitulation : 

  • Vahram Poghosyan, porte-parole d’Arayik Harutyunyan déclare le 9 novembre que Shoushi est tombée. Le Premier ministre arménien ne tarde pas à contredire l’information en affirmant que les combats étaient toujours en cours… Rappelons qu’il dira plus tard que Shoushi était tombée il y a déjà plusieurs jours…

Finalement, quelques heures plus tard, Nikol Pashinyan annonce qu’il a signé le fameux traité en avouant que nous perdions depuis le début et dans chacun de ses lives Facebook ou de ses explications, il contredit ses justifications précédentes. 

  • Une fois le choc de cette annonce redescendu, le président Armen Sarkissian affirme ne pas être au courant de la capitulation, le Ministre des affaires étrangères, Zohrab Mnatsakanyan, chef de la diplomatie arménienne, n’était pas au courant non plus.  Samvel Babayan, président du Conseil de Sécurité de l’Artsakh tente d’arrêter cette signature en venant à Yerevan mais n’y parvient pas, plus tard il renoncera même à son titre d’héros d’Artsakh.
  1. Jusqu’à ce jour, de nombreux points, qui définissent pourtant l’avenir de l’Arménie ne sont toujours pas clairs. Par exemple, la route Nakhitchevan/Azerbaïdjan qui passera par Meghri, au sud de l’Arménie est sûrement le point le plus inquiétant pour la sécurité de l’Arménie. Cette route qui est la matérialisation du panturquisme sera un couteau sous notre gorge puisqu’elle passera directement par l’Arménie et fragilisera nos frontières avec l’Iran. En cas de reprise des hostilités, l’ennemi pourra donc couper le sud du nord et donc de Erevan, ce qui leur permettra de prendre le Zanguezour de Karekin Njteh, aussi important symboliquement pour eux que Shoushi.
  1. La population en Arménie a tellement souffert avant 2018, qu’elle considère Pashinyan comme le grand sauveur. Le désespoir et la déception étaient si forts, que beaucoup le voient comme le seul à pouvoir diriger le pays, et c’est aussi sur cela que mise la communication du premier ministre. En personnifiant et en simplifiant encore une fois la situation à un choix : soit Pashinyan soit « les anciens », il se positionne volontairement en seule solution possible. 

La signature de la capitulation de l’Artsakh rend extrêmement vulnérable l’Arménie. Cela aurait dû être suffisant pour que l’homme au pouvoir avoue ses défaillances et démissionne, qu’il réalise qu’il n’est pas capable, en tant que partie perdante, de présenter de nouvelles exigences et d’essayer de renégocier ce qu’il a lui-même signé. Mais cela n’est pas le cas de Nikol Pashinyan. 

Tous ces problèmes conjugués à la supériorité numérique et militaire de nos ennemis ont abouti à la perte d’une partie de nous, d’une partie de l’Artsakh. 

Si Nikol Pashinyan n’est pas entièrement responsable de la situation actuelle, lui et son équipe avaient du moins entre leurs mains la possibilité d’améliorer la situation. Ce qu’ils n’ont pas fait. 

Il est grand temps qu’il en prenne la responsabilité.

Zoom sur le rôle militaire de la FRA pendant la guerre

La FRA, dès le 27 septembre, a été aux côtés des autorités et a été littéralement la première à envoyer des volontaires au front, et cela directement en direction du nord de l’Artsakh. La FRA par le biais de son représentant en Arménie Ishkhan Saghatelyan informe le premier ministre, dès le début de la guerre, que nous mettons nos différends de côté et qu’il est temps de se focaliser uniquement sur le front.

3 bataillons de volontaires de la FRA ont été envoyés au front, nous avons 31 soldats tombés en héros dont 5 de la diaspora et plus d’une cinquantaine de blessés.

Ayant quelques centaines d’hommes au front, la FRA a continué les sessions d’entraînement pour les volontaires qui s’inscrivaient au bataillon.

Deux bataillons soit près de 300 hommes étaient également prêts à Yerevan et attendaient que le gouvernement leur donne sa permission et son accord pour que ces volontaires aillent au front.

Ceux qui disent qu’ils n’avaient qu’à prendre un bus et partir au front ne savent pas que nous sommes en état militaire et que tout ce qui relève de la défense dépend directement du Gouvernement et du Ministère de la défense (armes, logistique etc.)

Comme démontré ci-dessus, le problème n’est pas la personne de Pashinyan, mais sa politique interne, externe et ses choix catastrophiques.

Le conflit de l’Artsakh n’est pas terminé, et la capitulation signée par Pashinyan pourra être revue puisque les différences d’interprétation entre la Russie et la Turquie sont déjà flagrantes. Mais si ce traité s’applique pleinement en notre défaveur, l’Arménie sera considérablement fragilisée, et ses effets pour l’Artsakh peuvent être malheureusement incontournables.

Pour renégocier avec l’Azerbaïdjan, pour rebâtir nos relations avec nos alliés stratégiques, et surtout pour tenter de sauver l’Arstakh, Pashinyan doit démissionner.

Njteh Karakavorian


[1] https://www.tert.am/am/news/2020/11/14/hraparak/3442468

[2] https://www.aysor.am/en/news/2020/10/27/simonyan-csto/1762863

[3] https://168.am/2018/11/27/1048396.html

[4] https://en.armradio.am/2020/01/28/armenia-to-get-second-batch-of-su-30-sm-fighter-jets-soon-defense-minister/

[5] https://www.azatutyun.am/a/29993476.html | https://www.azatutyun.am/a/29656307.html | https://www.azatutyun.am/a/30443679.html

[6] https://armenpress.am/eng/news/1034331.html | https://massispost.com/2020/06/armenian-government-appoints-new-army-and-security-heads/ | https://armenianweekly.com/2019/09/18/armenias-nss-director-sacked-police-chief-promoted/ | https://mirrorspectator.com/2019/09/19/armenias-police-chief-dismissed-appointed-adviser-to-pashinyan/