Entretien avec le nouveau président du CDCA, Jules Boyadjian

Jules Boyadjian, ancien rédacteur en chef de notre journal, récemment nommé à la présidence du Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA) nous a accordé un interview exclusive.

Tout d’abord, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le CDCA ? Pouvez vous nous en donner la ligne directrice ? Y’a-t-il des changements à apporter par rapport au travail fait ces dernières années ? 

Le comité de défense de la cause arménienne (CDCA), créé par la FRA Dachnaktsoutioun, est l’organisation historique de lutte opiniâtre en faveur des droits et aspirations légitimes du peuple arménien. De très grands militants de la cause arménienne s’y sont engagés je pense en particulier à Jules Mardirossian et Georges Képénékian, je veux leur rendre hommage, tout comme je salue mon prédécesseur Harout Mardirossian, qui reste très mobilisé dans de nouvelles fonctions. 

Alors que le CDCA est entièrement orienté vers l’action publique et politique, sa plus belle victoire aura été paradoxalement au niveau communautaire en convaincant l’ensemble des organisations arméniennes de se saisir de ses revendications pour les promouvoir dans un cadre collectif et unitaire, en l’espèce, le CCAF. L’effet « caisse de résonance » fut immédiat et nous avons, en vingt ans, remporté davantage de succès que nous en avions conquis dans les quatre-vingts années ayant suivi le génocide des Arméniens : reconnaissance du génocide des Arméniens, pénalisation du négationnisme voté à d’innombrables reprises, évolution des programmes scolaires pour tenir compte du génocide des Arméniens dans l’enseignement de la première guerre mondiale, mobilisation de parlementaires français au Conseil de l’Europe contre la délégation azerbaïdjanaise, signature des chartes d’amitié franco-artsakhiotes… 

Par conséquent, le CDCA incarne désormais une force d’entraînement, à travers le CCAF, de l’ensemble des Arméniens et sa responsabilité s’en trouve très largement accentuée. 

Qu’allez-vous faire concrètement ?

Premièrement, à la suite de la publication le 11 avril, du décret relatif à la commémoration annuelle du génocide arménien de 1915, qui inscrit le 24 avril au calendrier des célébrations républicaines, nous avons écrit à l’ensemble des Préfets de métropole à l’exception du Préfet de la Drôme que nous avons boycotté en raison de son acharnement contre les villes de Valence, Bourg-lès-Valence, Bourg-de-Péage et du Conseil départemental de la Drôme sur l’affaire des chartes d’amitié, pour proposer notre appui dans l’organisation de cette journée. Compte tenu des délais restreints et des vacances, peu de préfectures ont pu se mettre en action, mais nous avons eu des réponses très positives de préfets désireux de s’investir à compter de 2020. Nous allons poursuivre car la reconnaissance du génocide des Arméniens est dans notre ADN pour que le 24 avril soit commémoré à Paris, Lyon, Valence, Marseille, mais aussi de Saint-Lô à Digne-Les-Bains en passant par Chartres et Périgueux. 

Deuxièmement, nous allons mobiliser nos forces en ligne. Nous avons demandé à la Délégation Interministérielle de Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT d’interagir auprès de Google et Facebook pour que nous soyons reconnus en tant que « Trusted Flagger », c’est-à-dire signaleur de confiance, pour pouvoir signaler des contenus qui pourront plus rapidement, à mesure que la qualité de nos signalements sera attestée, faire l’objet d’une procédure de modération. Je considère aussi que cette démarche doit permettre de mobiliser davantage de jeunes au CDCA. 

Troisièmement, nous allons tout mettre en œuvre pour contrer le lobby azerbaïdjanais. Aliev est un dictateur sans scrupule, qui investit sans compter dans sa campagne de séduction et de corruption des élites occidentales, avec pour seule finalité la destruction des Arméniens de l’Artsakh et de l’Arménie (puisque le territoire arménien dont les frontières sont reconnues par la communauté internationale fait également l’objet d’attaques). L’affaire de la finale de l’Europa League où l’Azerbaïdjan s’est, en réalité, humiliée, atteste bien du grotesque de cette politique. Mais pour la dénoncer, il nous faut nous battre et nous mobiliser. 

– Comment qualifieriez-vous l’état de la cause arménienne aujourd’hui en France ? Cette année a notamment été marquée par l’instauration de la journée de commémoration du génocide des Arméniens par le président E. Macron. Quelles seraient selon vous les prochaines étapes pour la justice et la réparation du génocide des Arméniens ? 

C’est une question quasi-existentielle ! Au cours de leur longue histoire, les Arméniens ont vécu des siècles sans Etat et après le génocide, les exilés ont fait le choix de vivre en tant qu’Arméniens depuis la Diaspora. Il en ressort que l’Arménité se définit d’abord comme l’appartenance à un peuple transnational et ne s’oppose pas forcément à la citoyenneté dans laquelle elle s’incarne. En France, nos revendications sont parfaitement solubles dans les valeurs républicaines, si bien que nos identités arméniennes et françaises ne se sont pas opposées, mais se sont renforcées mutuellement. En conséquence à ce phénomène transculturel, les Arméniens de France ont défendu la cause arménienne en tant que Français, et les Français (sans racines arméniennes) ont, aussi, œuvré pour la cause arménienne, dans la proximité avec les Arméniens de France. Ces liens philosophiques et politiques sont essentiels pour comprendre la place, absolument unique dans le monde, que connaît la cause arménienne en France. Emmanuel MACRON a surtout vécu dans la France post-2001, il n’a quasiment jamais connu une France institutionnellement négationniste. Le décret du 11 avril lui est donc apparu comme une évidence. Nous lui sommes reconnaissants pour ce geste historique. Mais nous avons encore à progresser sur les canaux de transmission des attentes des citoyens français d’origine arménienne, je pense particulièrement à la question de l’Artsakh sur laquelle sa position n’est pas satisfaisante.  

– Justement, l’Artsakh est au cœur de toutes les attentions. Comment qualifieriez-vous la position de la France, et notamment du Quai d’Orsay sur les questions relatives aux Chartes d’amitié des villes françaises en Artsakh ? 

Pour moi, l’Artsakh est au plus haut niveau de nos priorités. Le quai d’Orsay est atteint d’un syndrome très grave qui est celui de l’indignation sélective. Il calque un discours prétendument humaniste en fonction de ses intérêts stratégiques. Aujourd’hui « on » lui dit de faire de la diplomatie économique, ce qui, en d’autres termes moins feutrés, signifie se mettre à genoux devant des Etats peu recommandables pourvu que le business suive. Cela concerne, le Qatar, l’Arabie Saoudite… et l’Azerbaïdjan. C’est à l’aune de cette doctrine-là qu’il faut comprendre l’acharnement contre les chartes d’amitié. Sous la précédente mandature, il existait les mêmes pressions, mais des cordes de rappel politiques et morales permettaient de limiter le courroux du Quai d’Orsay à des déclarations d’intention sans effets concrets. Aucune charte n’a donc été portée devant le tribunal administratif par l’autorité gouvernementale. En mai 2018, une nouvelle circulaire a été adoptée qui avait un effet prescriptif. Les Préfets ont été enjoints de saisir le tribunal administratif. C’est évidemment un acte politique. 

La première décision juridique concernant Arnouville ne nous est pas favorable. Les collectivités territoriales concernées par des procédures juridiques sont déterminées à aller jusqu’au bout, y compris en appel devant le Conseil d’Etat. Nous les soutiendrons. 

– Enfin, quel bilan tirez vous des élections européennes pour la Cause arménienne ? Que peut-on penser des prochaines élections à venir ? Quelle position à avoir ?

Tout d’abord, j’aimerais dénoncer l’espèce de soulagement que je sens poindre depuis dimanche. Le Rassemblement National a gagné ces élections, c’est la seconde fois que l’extrême droite remporte une élection significative en France. C’est un drame absolu. Il se traduit pour les Arméniens par l’élection de Thierry MARIANI, avocat zélé de l’Azerbaïdjan, au Parlement européen. Je veux, à l’inverse, souligner l’élection de Sylvie Guillaume et Michèle Rivasi, deux amies de la cause arménienne, qui plus est des femmes, ce qui démontre brillamment que la cause arménienne n’est pas une affaire d’hommes. Avec la liste Renaissance, de nouveaux parlementaires se revendiquant du Président de la République ont été élus. Ils sont vierges sur la cause arménienne, et je ne doute pas que la Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie (EAFJD), émanation européenne du CDCA, saura agir pour les sensibiliser à nos combats. 

S’agissant des élections municipales qui arriveront l’année prochaine, les candidatures n’ayant pas été déposées, l’heure n’est pas à l’expression d’une forme de soutien. Je peux néanmoins vous inviter à observer avec attention le positionnement des candidats sur la question de l’Artsakh et de l’Azerbaïdjan. Pour les citoyens français d’origine arménienne, ce sera le grand déterminant de ces élections municipales.