Peut-on enseigner l’arménien dans les écoles publiques de France ?

Théoriquement, rien ne s’y oppose. À l’heure où l’enseignement de l’arménien en France fait face à de nombreuses difficultés, une réflexion doit être menée sur les possibilités offertes par le système éducatif public français pour intégrer l’arménien dans son panel de langues enseignables.

Rappelons qu’au dîner du CCAF 2018, évoquant le sommet de la  Francophonie d’Erevan, Emmanuel Macron déclarait vouloir « promouvoir  la langue française en Arménie ». Dans ce contexte, pourquoi ne pas instaurer une relation réciproque en promouvant la langue arménienne en France ? Plusieurs dispositifs existent, certains nécessitent un accord bilatéral entre la France et l’Arménie (I). D’autres dépendent essentiellement de la volonté politique et doivent faire l’objet de discussions entre les organisations arméniennes de France et le ministère de l’éducation nationale (II). Le CCAF est naturellement l’organisation la mieux placée pour engager ce dialogue avec les officiels français.

I) Les dispositifs qui nécessitent un accord entre la France et l’Arménie

Il s’agit des ELCO (Enseignements de langues et de culture d’origine), et des sections internationales (SI). Pour la mise en place de ces deux dispositifs, les ministères français et arménien en charge de l’éducation doivent coopérer.

a) Les ELCO

Dans le cas des ELCO, les cours sont optionnels et sont organisés en dehors des heures de classes, à raison d’une heure trente à trois heures par semaine. Ils sont mis en place à la demande des familles, dès le CE1, au collège et dans les lycées professionnels. Neuf pays bénéficient actuellement de ce dispositif : l’Algérie, la Croatie, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie, la Tunisie, la Turquie. Les Etats tiers ont l’obligation d’envoyer et de rémunérer les professeurs. En 2018, les ELCO sont progressivement remplacés par les EILE (Enseignements Internationaux de Langues étrangères). Le dispositif reste similaire, mais il renforce le contrôle des enseignements. L’enseignant doit désormais maitriser le français, il est intégré à l’équipe pédagogique de l’établissement et est inspecté. Les cours sont, par ailleurs, évalués, ce qui n’était pas le cas pour les ELCO.
A titre indicatif, voici la liste des enseignements ELCO EILE à Paris en 2016.

b) Les sections internationales

Les SI concernent la primaire, le collège et le lycée. Comme pour les ELCO, elles s’inscrivent dans le cadre de partenariats bilatéraux passés entre la France et le pays tiers.
Les SI scolarisent des enfants français et étrangers qui bénéficient d’une formation bilingue et biculturelle, en traversant quotidiennement les frontières qui séparent les systèmes éducatifs des deux pays. Concrètement, dans l’élémentaire, les élèves ont une scolarité française à laquelle sont intégrés des éléments spécifiques pour suivre une formation poussée dans la langue étrangère, selon la tradition pédagogique du pays partenaire. Puis, dès le collège, deux disciplines sont dispensées dans la langue du pays  partenaire : la « langue et littérature » et « l’histoire géographie ». Le programme français est d’ailleurs adapté pour laisser une large place à l’histoire et à la géographie du pays partenaire. Les enseignements  spécifiques des SI représentent environ 35% du temps d’enseignement au collège. Ils passent à 25% au lycée. Les enseignants de section internationale sont le plus souvent locuteurs natifs de la langue qu’ils enseignent et titulaires des diplômes d’enseignement du pays partenaire. Lorsqu’il s’agit d’enseignants français, ils bénéficient d’une expérience d’enseignement dans le système du pays partenaire de la section. Dans tous les cas, leur nomination doit être approuvée par le ministre chargé de l’éducation nationale. Les autorités éducatives du pays partenaire mettent parfois ces enseignants à disposition des SI. Elles participent dans tous les cas à leur suivi pédagogique. (source : ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche). En outre, des activités périscolaires en lien avec la culture du pays partenaire sont organisées, à l’initiative notamment des associations de parents d’élèves.
Il existe des sections internationales allemandes, américaines, arabes, britanniques, brésiliennes, chinoises, coréennes, danoises, espagnoles, italiennes, japonaises, néerlandaises, norvégiennes, polonaises, portugaises, russes et suédoises. Celles-ci donnent droit à l’obtention d’une mention « option internationale » sur le brevet et le baccalauréat.
Voici la liste des sections internationales par langue et par établissement en France en 2018 .

Outre ces deux dispositifs, qui doivent faire l’objet d’un rapprochement au niveau gouvernemental entre la France et l’Arménie, la création d’un CAPES / CAFEP d’arménien peut être envisagé en France.

II) CAPES /CAFEP

En France, la voie la plus commune pour devenir enseignant au  collège/lycée est de passer les concours de l’enseignement. Ils ont lieu chaque année et sont gérés par le ministère de l’éducation nationale. Les concours sont différents selon la filière (générale, technique, professionnelle…). Nous nous intéresserons uniquement à la filière  générale qui correspond aux concours du CAPES (enseignement public) et du CAFEP (enseignement privé), qui sont des certificats d’aptitude pour enseigner dans les établissements scolaires du second degré (collège et lycée) en France. Les sections du concours du CAPES/CAFEP sont multiples : histoire-géographie, physique-chimie, mathématiques, langues etc.

S’agissant des langues, l’on retrouve naturellement celles qui sont les plus fréquemment enseignées comme l’anglais, l’espagnol. Pour autant d’autres langues moins classiques peuvent faire l’objet d’un concours. Par exemple le chinois, le japonais ou l’hébreu pour les langues vivantes ; l’occitan, le créole, le basque pour les langues régionales. Et l’arménien ? Il n’en est rien. Pourtant, 7 écoles quotidiennes arméniennes existent dont 6 qui ont été fondées durant ces 40 dernières années et une 8ème qui est en train de voir le jour, dénotant une demande en constante augmentation.
La mise en place d’un CAPES d’arménien sous l’égide de l’Education Nationale n’aurait que des avantages. Elle permettrait la prise en charge par l’Etat de la rémunération des enseignants d’arménien, qui représentent une charge considérable pour les écoles arméniennes. Elle apporterait la sécurité de l’emploi pour les enseignants, et notamment la garantie d’un poste à vie. Elle offrirait une grande légitimité à l’enseignement de l’arménien en France puisque les lauréats du concours seraient certifiés par le ministère de l’Éducation Nationale. Enfin, elle entraînerait la mise en place d’un programme commun de l’enseignement de l’arménien dans toute la France, gage de qualité comparativement à un enseignement indépendant.
Il y a beaucoup à dire, à discuter et à entreprendre en ce qui concerne l’éducation arménienne en France car le champ d’action est très vaste. Des choses ont été mises en place grâce aux efforts de nombreux bénévoles de la communauté arménienne (écoles hebdomadaires, quotidiennes, chaires d’études universitaires etc.). Ils sont à saluer. Beaucoup reste à faire. La question de l’enseignement de l’arménien est aujourd’hui un enjeu de taille. Les élèves qui apprendront l’arménien dans les écoles publiques ou privées de France seront les intellectuels, les avocats, les médecins et les artistes de demain. Ils seront les acteurs du monde franco-arménien. Ils seront également des militants de la cause arménienne mieux formés que ceux de notre génération.

Hampig Osipian
Stéphane Hamalian

Crédits photo : Hélène Lompech / Ouest France