Être 100% français, 100% arménien

L’immense Charles Aznavour nous a quitté le lundi 1er octobre 2018, à l’âge de 94 ans, après avoir eu une carrière de plus de 72 ans. Il paraissait immortel, tant son nom et sa personne étaient ancrés dans le paysage culturel français.

On retiendra de cette légende ses chansons intemporelles, son charisme fou mais surtout l’influence de ses origines arméniennes en tant qu’artiste français. Aznavour, de son vrai nom Shahnour Vaghinag Aznavourian n’a en effet jamais caché son identité arménienne dont il avait presque fait sa marque de fabrique.

Né le 22 mai 1924, ses parents avaient fui le Génocide des Arméniens, dont il parlait fréquemment lors de différents entretiens, jusqu’à composer en 1975 « Ils sont tombés » pour rendre hommage aux victimes du Génocide. Il a ainsi eu une influence considérable sur la médiatisation du Génocide des Arméniens, notamment dans la sphère publique française.

Mais l’engagement pour l’Arménie d’Aznavour prend une ampleur sans précédent en 1988, à la suite du tremblement de terre qui touche le pays. Il écrit « Pour toi Arménie » en rassemblant 80 artistes et les bénéfices de ce titre sont reversés aux habitants touchés par cette catastrophe.

Depuis, il est nommé en 1995 ambassadeur itinérant d’Arménie auprès de l’Unesco et se rend régulièrement dans son pays d’origine. Il est par ailleurs nommé Héros national d’Arménie en 2004 et fait citoyen arménien en 2008 puis devient ambassadeur de la République d’Arménie en Suisse en 2009. L’engagement de Charles Aznavour pour l’Arménie est difficile à répertorier dans un seul article.

Nous retiendrons sa pensée : « je suis 100% français, 100% arménien ». Il rappelle ainsi dans un entretien accordé au Dauphiné le 23 janvier 2011 sa vision des choses : « Je suis comme le café au lait. Une fois qu’on a mélangé le lait et le café, on ne peut plus les diviser. C’est comme si on demande à un enfant s’il préfère son papa ou sa maman ». Ces comparaisons sont frappantes, tant elles peuvent résonner dans l’esprit de beaucoup d’Arméniens vivants en France mais plus généralement auprès de l’ensemble des immigrés qui arrivent dans de nouveaux pays et de nouvelles cultures.

Car au final pourquoi choisir ? Comment choisir ? Chacun est libre de se définir et la franchise d’Aznavour est une bouffée d’air frais dans un contexte politique tendu où l’immigration est un sujet brûlant. Pendant que certains éditorialistes invitent à oublier la culture d’origine, jusqu’à gommer son identité en optant pour des prénoms chrétiens français, pourquoi ne pas discuter d’une manière décomplexée sur la possibilité d’avoir une double culture, une double identité ? Car l’une n’est pas exclusive de l’autre. Charles Aznavour a certes retiré toute référence arménienne à son nom de scène, mais il a prouvé à chaque instant qu’avoir une double culture est un enrichissement mutuel permanent, c’est un double héritage socio-culturel, deux esprits différents qui apprennent à se concilier, à s’influencer réciproquement.

Charles Aznavour incarnait cela, pleinement.