Arménien : deux composantes, une langue

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« Մեր լեզուն արյուննէ մեր,
Արյունից ավելի թանկ,
Մերբուրմունքնու գույննէմեր,
Մեր լեզուն մենք ենք որ կանք : »

(Traduction :  « Notre langue coule dans nos veines,
Elle est même plus chère que notre sang.
Elle est notre parfum, notre couleur.
Elle est ce que nous sommes »)

Hamo Sahyan, célèbre poète arménien, exprimait son affection toute particulière pour la langue arménienne. Dans son poème intitulé Մեր լեզուն (« Notre langue »), il  fait plusieurs fois référence à l’impact qu’a eu l’histoire du peuple arménien sur la langue.

En effet, si à l’origine l’arménien classique était la seule version linguistique utilisée, au fil des années plusieurs composantes de l’arménien apparaissent ; deux d’entre elles vont se développer : il s’agit de l’arménien oriental et de l’arménien occidental. Pour appréhender au mieux l’évolution de la langue, il est nécessaire de remonter à son origine.

L’alphabet arménien, gage d’unité

Longtemps, l’Arménien fut une langue exclusivement orale. Puis, les alphabets syriaques, araméens, grecs ou ancien persans furent utilisés pour l’écrire. Au Vème siècle après Jésus-Christ, Mesrop Mashtots, un ecclésiastique connu aujourd’hui en tant que figure de l’éducation, crée l’alphabet arménien. Ces 36 lettres (auxquelles deux autres furent ajoutées) revêtent une importance capitale dans l’histoire de notre peuple. L’alphabet arménien est un gage d’unité nationale et d’indépendance de l’Eglise arménienne à l’égard Eglises grecques et syriaques. Il est aussi une arme de défense contre le mazdéisme persan, et contre toute forme d’assimilation.

Dès le Vème siècle, l’arménien classique (Grapar) se développe grâce à l’alphabet. Une littérature abondante principalement ecclésiastique et liturgique se propage en Arménie. En parallèle, et au fil des siècles, des dialectes locaux se forment, desquels découleront au XIXème siècle, les deux composantes de l’arménien moderne (Ashkharhapar) : occidental et oriental. Dès cette époque, l’utilisation du Grapar s’éteint, et ne sera plus que la langue liturgique de l’Eglise apostolique arménienne.

Langue arménienne, une multitude de dialectes

En se référant aux différentes recherches linguistiques, on peut distinguer trois branches de dialectes : la branche en « GUE » ; la branche en « OUM » et la branche en « LIS ».

La première était généralement parlée dans les régions situées au centre, au sud et à l’ouest de l’Arménie occidentale. De celle-ci découle l’arménien occidental. La seconde se parle au nord et au nord-est de l’Arménie orientale ainsi qu’en Artsakh. Elle était également parlée en Azerbaïdjan avant l’exode de la fin des années 1980.  Quant à la dernière branche, elle était anciennement utilisée dans les régions situées à l’Est de l’Arménie.

Des études relatives à la langue arménienne ont révélé son appartenance aux langues indo-européennes. Cependant, l’arménien connaît une unicité en ce qu’elle forme à elle seule une branche distincte dans ce groupe. Dès lors, on comprend qu’elle n’ait pas de langue sœur comme c’est le cas, par exemple, de l’espagnol et du portugais.

Ainsi, si l’arménien occidental et l’arménien oriental paraissent liés par leur appartenance à la version moderne de la langue, il n’en demeure pas moins que les deux composantes vont subir un divorce peu négligeable résultant des impacts politico-historiques.

Deux composantes, une langue

L’arménien occidental s’est développé autour du dialecte de Constantinople alors que l’arménien oriental s’est développé dans les régions limitrophes de la plaine d’Ararat. Ces deux composantes ont connu des perturbations au cours de l’histoire. Ainsi, les langues du Moyen-Orient influenceront l’arménien occidental, notamment après le génocide. A l’Est, L’URSS portera un coup non négligeable à l’arménien oriental de par sa volonté de le réformer des points de vue lexicographique et orthographique.

Mais la langue arménienne est riche, son développement complexe peut nous amener à tenter de créer des sous composantes. En effet, l’arménien oriental employé en Arménie diffère légèrement de celui d’Iran. Au même titre, l’arménien occidental de Turquie diffère de celui employé en France, ou au Liban.

Naturellement, l’on est amené à se demander si l’intercompréhension pose problème. Partant du postulat selon lequel l’intercompréhension des différents dialectes est rendue possible par les locuteurs, celle-ci devient subjective. Dès lors, on ne saurait affirmer que les dialectes d’une même langue empêchent l’intercommunication. L’intercompréhension dépend des locuteurs qui ont ou vont mettre en place des mécanismes, parfois des codes, pour se rendre compréhensibles ou non. Comme le disait Hudson en 1980, bien qu’ayant une vision assez extrême sur la question, il n’y a pas de façon de délimiter les variétés, lesquelles finalement n’existeraient pas. Autrement dit, bien que l’histoire ait infligé de nombreux clivages linguistiques, l’intercommunication demeure possible une fois alliée à la volonté de s’unir.

Lilit Hakobian