Le récit de la guerre, par Ishkhan Saghatelyan

Le 27 septembre, à 7h50, mon téléphone a sonné, c’était mon camarade Gegham Manukyan. J’ai immédiatement demandé ce qu’il se passait, Gegham a dit : « la guerre a éclaté en Artsakh » j’ai demandé si c’était sérieux, il a dit « oui, ils ont attaqué dans différentes directions ».

J’ai alors demandé : « tu l’as dit aux garçons ? » , il a répondu : « non, je t’ai appelé en premier ». « D’accord, je me rends sur le champ au quartier général», dis-je. 

En m’habillant, j’ai commencé à appeler les camarades du Kerakouyn Marmin (ndlr : l’organe suprême de la FRA en Arménie), mais j’ai d’abord appelé le camarade Hrant Markarian, qui a dit : « Je suis au courant, j’ai déjà dit aux garçons ce qu’ils avaient à faire, j’arrive au bureau. »

Sur le chemin du bureau, j’ai appelé les camarades d’Artsakh. Arthur Mosiyan n’a pas répondu, Davit Ishkhanyan a confirmé les dires de Gegham, mais ce n’était plus nécessaire. Les bruits des bombardements pouvaient être entendus. Nous avons convenu de rester en contact régulièrement. David a demandé d’une manière très naturelle, « quand viendrez-vous…? ».

A 08h30 j’ai rencontré Gegham Musheghyan près du bâtiment du quartier général, il était déjà en tenue militaire, prêt. Gegham est décédé le 2 octobre, il était le président du comité de la FRA d’Erevan. J’ai demandé à Gegham ce qu’il se passait, et il m’a dit «  nous rassemblons nos camarades dans les bureaux des comités, jusqu’à ce que nous décidions la date et l’heure de notre départ », le responsable de chaque commission connaît son travail.

A 8h30 il y avait des camarades prêts en uniforme militaire près du bâtiment du quartier général, c’était plein. 

Avant d’atteindre le bureau, dans les escaliers, j’ai rencontré nos autres camarades dans le couloir, Igor, Harmik, Artashes, Mkho, Chechen… J’ai ressenti une émotion et une fierté indescriptibles, une confiance. Et je me suis dit, ces garçons ne pourront jamais être vaincus. 

A 08h50, nous avons tenu une session avec le KM. Le camarade Hrant Markarian et des camarades du Bureau Mondial ont pris part à la séance. 

La réunion a duré environ une demi-heure, nos réunions durent généralement longtemps, mais ce n’était pas une réunion ordinaire, nous devions prendre des décisions rapides. Nous avons pris quatre décisions majeures.

Il a été décidé de : 

  1. faire une déclaration avec le contenu suivant : nous mettons de côté tous les désaccords politiques, nous sommes un soldat de l’armée aux côtés de l’État.
  2. de préparer au moins 2 détachements de volontaires de la FRA, qui seront prêts à partir pour le front dans la journée. Il a été décidé de rassembler les deux premiers détachements près de la statue d’Aram Manoukian à midi, de prendre les dispositions nécessaires avec le ministère de la Défense, en mettant nos différends politiques de côté. Il a été décidé de faire de même avec un appel public à nos compatriotes.
  3. Le Kerakouyn Marmin a décidé que je devrais personnellement appeler Nikol Pashinyan pour lui transmettre notre décision, lui demander comment nous rendre utiles.
  4. Il a enfin été décidé d’organiser une réunion des partis d’opposition dans le domaine politique à 15h00. Le but était le même : s’unir. Le pays est en guerre.

A la fin de la session, nous avons divisé le travail, réparti les tâches, nommé les responsables, et nous sommes mis au travail.

A 09h30 j’ai appelé Nikol Pashinyan, il a répondu immédiatement. J’ai posé des questions sur l’état des frontières et j’ai transmis notre décision : la FRA est aux côtés du gouvernement, de l’Etat et de l’armée. 2 unités partiront pour le front dans les prochaines heures, j’ai également demandé ce que l’on pouvait faire, il nous a remercié pour cette mise en relation et a demandé aux bureaux du « Hay Tad »  de présenter au monde que l’Azerbaïdjan et la Turquie ont lancé une agression conjointe contre l’Artsakh.

J’ai répondu que le Bureau avait déjà donné la mission, nous avons convenu de rester en contact. Pendant ce temps, un membre du Bureau mondial, le docteur Taron Tonoyan, est entré et a dit: « Camarades, je pars immédiatement, restez fort, « Bind menatsek ». »

J’ai demandé où, « où est ma place pendant la guerre? ». Au front. Probablement à Hadrout. J’ai dit, camarade, le journaliste de « Yerkir » est dans le couloir, dis quelque chose de court, puis part, il a dit, ce n’est pas l’heure, laisse-moi partir, la voiture est chargée de vêtements et de médicaments. Emotion, encore et fierté. Ce type ne peut pas être vaincu.

J’étais en contact avec le camarade Taron presque tous les jours pendant les 44 jours de la guerre, je n’oublierai jamais notre conversation du 3 octobre, ce jour-là j’étais en Artsakh, ce jour-là Taron ne pouvait pas le supporter, il a dit la vérité, sa voix résonne toujours dans ma tête… Mais ça c’est un autre sujet que j’aborderai une prochaine fois.

A midi, un rassemblement de volontaires de la FRA fut organisé, près de la statue d’Aram Manoukian. Hrant Markarian a lancé un appel à l’action, à ce moment-là, des paroles indispensables et très importantes ont été prononcées. Il a notamment été dit que notre tâche principale était de mettre l’ennemi à genoux, au même moment, lors d’une séance parallèle du parlement, le Premier ministre Nikol Pashinyan annonçait : « Entendons-nous que quoi qu’il arrive, nous ne nous considérerons pas comme vaincus. ».

Le responsable de l’organisation estudiantine de la FRA Kim Khachatryan se tenait derrière Hrant Markarian devant la statue tricolore d’Aram, Kim a été tué le 31 octobre dans les positions défensives du nord de l’Artsakh.

A 15h00, une réunion des partis d’opposition a eu lieu dans le bureau de la FRA environ 14 partis étaient présents, tous d’opposition, il y avait 100% d’unité. Les questions politiques internes ont été mises de côté, nous avons publié une déclaration sur la nécessité de s’unir, de se tenir aux côtés de l’Etat, de l’Artsakh, de se battre.

J’ai appelé les anciens présidents Robert Kotcharian et Serge Sarkissian. Ils étaient déjà en contact avec l’Artsakh, très au fait de la situation frontalière, nous avons discuté de la situation en quelques mots, la « combinaison des capacités » de toutes les forces était dirigée vers l’Artsakh.

Alors que les deux premiers bataillons étaient prêts, pour des raisons techniques liées à la réception d’armes et de vêtements du ministère de la Défense, il fut décidé qu’un bataillon de 100 personnes partirait le 27 au soir.

A ce moment précis, une dispute a éclaté près du centre de jeunesse de la FRA Aram Manoukian pour savoir quels camarades feraient partie du premier bataillon de 100 personnes. Nombre de camarades souhaitaient partir immédiatement. Il a été décidé que deux frères ou un père et son fils ne pourraient pas partir ensemble.

La première compagnie a quitté Erevan tard dans la nuit.

Emotion à nouveau, responsabilité, fierté. Dans la première compagnie il y avait des participants des deux guerres d’Artsakh, des jeunes, des camarades de la diaspora.

J’ai réussi à contrôler mon émotion en serrant particulièrement les jeunes dans mes bras, mais les garçons étaient d’une force différente, ils ont réussi le premier test en avril 2016 pendant la guerre « des 4 jours ».

Les gars savaient où ils allaient et pourquoi, ils avaient juré depuis longtemps: servir la cause de la libération de l’Arménie et des Arméniens, si nécessaire, au prix de leur vie. 

PS : Ce sont mes souvenirs du 27 septembre 2020, la chronologie de ce jour, le premier jour de la malheureuse guerre. 

À suivre …

Par Ishkhan Saghatelyan, représentant du Kerakouyn Marmin et vice-président de l’Assemblée nationale d’Arménie