Arménie : Changements indispensables, violences insupportables

Crédits Photo aliceadsl.lemonde.fr
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Durant sept jours, une prise d’otage a eu lieu au sein d’un bâtiment de la police à Erevan où un commando dirigé par des vétérans de la guerre du Karabagh a investi les lieux. Le dernier otage a été libéré le 23 juillet mais le groupe armé occupe toujours les lieux.

Leurs revendications : La libération des prisonniers politiques et la démission du président Serge Sarkissian.

Plusieurs questions se posent : Comment des Héros de la guerre, qui ont par le passé combattu l’ennemi azéri, en sont arrivés à prendre les armes contre leurs frères arméniens ? La violence est-elle la seule alternative ? Quelles peuvent être les conséquences sur le pays, sur le peuple et sur l’Etat ?

De prime abord, aucune violence n’est acceptable. Néanmoins, il existe des cas où le recours aux armes est nécessaire pour protéger l’existence d’un peuple ou d’un Etat. Ce sont des violences légitimes. La guerre du Karabagh en est une parfaite illustration. La jeune république du Haut-Karabagh a dû prendre les armes pour se défendre face à l’ennemi azéri, avide de territoire… De même, la révolution arménienne dans l’empire ottoman et la lutte armée sont des exemples qui prouvent que les méthodes politiques ne pouvaient garantir la survie de notre peuple.

Ce qui est en cours à Erevan ne correspond pas à une violence dite « nécessaire ». Il s’agit plutôt d’un coup porté contre l’Etat, garant de l’indépendance et de la sauvegarde d’une nation. Constitué depuis peu, ce groupe pense répondre aux besoins de tout un peuple et ne suit pas le processus classique de changement politique pour tendre vers la démocratie. Les méthodes qu’il utilise peuvent créer un précédent extrêmement dangereux pour le peuple arménien ; celui du recours systématique à la violence pour toute revendication politique. Ces méthodes ne s’inscrivent pas dans la culture politique arménienne. Notre peuple ne prend les armes que lorsque l’ennemi menace.

Nous respectons le glorieux passé de ces combattants de guerre mais nous ne pouvons accepter leurs actes. Il est totalement contradictoire et illusoire de vouloir une Arménie juste et égalitaire en imposant ces changements par les armes.

Certes, les fléaux qui minent le pays sont connus de tous : corruption, oligarchie, népotisme, justice partiale, fort contrastes sociaux…..Le pouvoir est chaque jour un peu plus décrié car il ne répond pas aux besoins du peuple. La population vit dans une situation précaire, les oligarques s’enrichissent et le peuple s’appauvrit. Le régime politique dirigé par Serge Sarkissian ne convainc personne. Cependant, les méthodes violentes adoptées par les assaillants vont-elle changer les choses ? Cela est peu probable car ces fléaux sont structurels. Ils sont les enfants des ex-républiques soviétiques. La corruption par exemple, gangrène la société à tous les niveaux. Afin de combattre ces fléaux, il est fondamental d’écarter tout sentimentalisme et de concentrer les forces sur la mise en place de changements politiques. Cela n’est en rien facile mais la colère, l’animosité, la violence et les armes ne peuvent qu’aggraver la vie interne du pays.

Cette violence est néfaste pour le pays pour plusieurs raisons :

  1. Elle affecte le peuple. Un policier a été tué lors de l’assaut du commando. Cet homme était lui aussi un Héros de la guerre du Karabagh. Des frères d’armes en sont donc venus à s’entretuer ??? Ceux-là même qui 25 ans auparavant se livraient à la lutte Nationale contre l’ennemi.

  2. Elle mène à la désunion nationale, après l’union nationale post guerre des 4 jours. Elle divise le peuple au lieu de le rassembler. Aujourd’hui, en Arménie, si la population toute entière lutte pour les mêmes objectifs, seule une partie qui légitime l’assaut manifeste.
  3. Elle installe un climat de peur, de tensions et d’insécurité au sein du pays. Des heurts éclatent entre manifestants et policiers causant des dizaines de blessés… La nuit dernière, des échanges de tirs entre le commando et la police ont fait plusieurs blessés graves des deux côtés.

  4. Elle offre des opportunités à l’ennemi azéri de relancer la guerre contre la République du Karabagh en profitant de l’instabilité interne. D’ailleurs, entre-temps, Aliev n’a pas manqué l’occasion de tuer un autre jeune soldat arménien et de tirer sur des enfants et des civils. Une actualité qui aurait fait la une des journaux en temps normal. Alors que les négociations sur la résolution du conflit s’intensifient depuis la guerre des 4 jours, les événements actuels ne peuvent qu’affaiblir la diplomatie arménienne.

Par ailleurs, toute répression policière est fermement condamnable et il est inacceptable que les droits et la dignité des citoyens soient bafoués. Mais combattre la mal par le mal, la violence par la violence, est-ce la solution ? Elle ne mène à rien de bon.

Par conséquent, il est indispensable que toute effusion de sang soit évitée, que tout heurt entre manifestants et policiers cesse et que les manifestations restent pacifiques. Les changements structurels n’interviendront que lorsque toutes les familles politiques et les figures influentes du pays se rassembleront autour du peuple en établissant un programme politique organisé, préparé et accepté par tous. Seul un consensus politique mènera à une Arménie forte, stable et prospère.

Կորիւն Շանթ
Hampig Osipian