Le bilinguisme, une richesse à transmettre et à partager.

Parlez en arménien avec vos enfants !

Le bilinguisme, ça dérange. Un grand nombre de préjugés existent sur le sujet. 

On entend souvent dire : « ne parlez pas plusieurs langues à votre enfant, ça va le perturber, il va confondre et être perdu, il va avoir du mal à parler la langue du pays (voire les 2 langues) », ou alors « ça ne sert à rien, parce qu’il va oublier, c’est trop tôt », ou encore « ça retarde l’acquisition du langage ». 

En tant que jeune Française d’origine arménienne et éducatrice de jeunes enfants, j’ai notamment en tête l’exemple de professionnels en crèche ou de professeurs en maternelle qui disent aux parents, dont l’enfant ne parle pas (seulement) le français, que ce sera compliqué pour lui, qu’il serait préférable de se focaliser sur la langue du pays de résidence. Selon eux, la pratique de la langue française pour l’enfant serait incomplète et limitée, si l’enfant parle une autre langue. 

Or il s’agit là d’idées reçues qui ne sont pas fondées. 

En effet, dès le plus jeune âge, l’enfant peut entendre plusieurs langues, il est capable de les distinguer, de les comprendre, et plus tard de les parler (2, 3, 4 voire même 5 langues différentes). 

Le tout petit, avant de savoir parler, possède déjà une activité cérébrale et mentale. Il apprend d’abord les usages de la langue avant de produire des mots et des phrases, et ainsi de s’en servir lui-même. 

L’enfant, dès son plus jeune âge, a une oreille très développée (une plus grande habilité à percevoir, différencier et restituer des sons différents), un talent d’imitateur, une faculté d’adaptation et il adore communiquer. 

Il est réceptif et attiré par les langues, surtout si leur acquisition se fait par les échanges (que ce soit entre les adultes présents qu’il entend, ou avec l’enfant directement) d’une part, et par le jeu, les livres et les chansons d’autres part. Ces activités ludiques et éducatives lui permettent de construire ses propres repères. Philippe Duverger, pédopsychiatre, dit que « lorsqu’un enfant nait dans un environnement bilingue, il construit naturellement ses repères linguistiques et affectifs autour de deux (ou plusieurs) langues. Il apprend tout simplement à organiser sa pensée, structurer son univers et ses émotions dans ses langues ».

Par ailleurs, des études ont démontré que la période pré scolaire (avant 3 ans) était la plus propice à l’éveil des langues, de par la capacité d’adaptation du cerveau de l’enfant. Plus tôt l’enfant sera baigné dans un environnement où sa langue maternelle co-existe avec la langue du pays de résidence ou d’autres langues, mieux il parlera cette langue plus tard. Avant 7 ans, le cerveau de l’enfant est capable de mémoriser bien plus de choses qu’à l’âge adulte.

Les langues sont donc des richesses. Le fait pour l’enfant d’entendre parler sa langue maternelle ne nuit pas à l’acquisition de la langue du pays dans lequel il vit ou d’autres langues, et ne veut pas dire que l’enfant rencontrera des lacunes par la suite. Au contraire, le fait de passer d’une langue à une autre assure une flexibilité cognitive. 

En résumé : Parlez en arménien avec vos enfants ! 

Parce que cela permet de préserver et de transmettre la culture, l’histoire, la langue, de génération en génération. 

Mais également de faire prendre conscience à l’enfant, dès son plus jeune âge, de ses racines arméniennes, et participe ainsi à la construction de son identité.

Sans compter les autres avantages du bilinguisme : il permet à l’enfant une ouverture à l’autre et au monde, une compréhension des différences culturelles, une capacité d’adaptation et d’attention et une facilité à apprendre d’autres langues par la suite. 

Pour conclure, aujourd’hui, au sein de la communauté, on rencontre encore trop de personnes qui souffrent de ne pas savoir parler l’arménien, qui en ont parfois honte. Pour certains, ils le comprennent mais ne le parlent pas ; pour d’autres, ils ne le comprennent pas et ne le parlent pas non plus.

Certains ont parfois appris les bases de la langue arménienne à l’école primaire, mais ont ensuite régressé voire tout perdu, faute de pratique. En effet, nous avons la chance d’avoir des écoles arméniennes en France, mais cela ne suffit pas. La socialisation passe d’abord par la famille avant de passer par l’école et de nombreux exemples montrent que l’apprentissage à l’école ne suffit pas si la langue n’est pas également pratiquée à la maison : les fondements de la langue sont appris à l’école et doivent être approfondis au domicile au quotidien.  

Quoi qu’il en soit, quand on échange avec ces personnes, la plupart indiquent qu’elles regrettent de ne pas avoir baigné dedans et aimeraient savoir parler leur langue maternelle, auraient aimé apprendre l’arménien dès le plus jeune âge. Certaines disent même qu’il est trop tard et que cela serait trop difficile maintenant. 

Ainsi, on constate ici que la langue fait partie de notre identité, puisqu’avec elle, vient également toute une culture et des repères. 

Alors, quoi qu’on vous dise, n’ayez plus jamais peur, ni honte de parler en arménien avec vos enfants, car « le bilinguisme n’est jamais la cause de difficultés éventuelles, il est toujours une richesse ! ».  

Houri Hitayan