Première action en justice de l’Église arménienne contre la Turquie devant la CEDH.

À l’occasion du 25 avril 2015, date du 100ème anniversaire du génocide des Arméniens, l’Église arménienne a porté la voix de toute la communauté sur la scène internationale. 

Le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie, Aram Ier, a intenté un procès contre la Cour constitutionnelle turque pour demander la restitution de son siège historique dans la ville de Sis, rebaptisé en turc  » Kozan  » localisé au centre de la province d’Adana. 

Débouté de sa demande en 2016, le Catholicos décide de se pourvoir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. Cette dernière rejette la demande du Catholicos, ce qui ne fait qu’appuyer la cécité de l’Europe envers le sombre passé de la Turquie… 

En réalité, ce processus de revendication des propriétés arméniennes est engagé depuis longtemps. 

Au commencement en 2011, un décret publié au Journal Officiel turc stipule la restitution des biens immobiliers qui avaient été confisqués aux minorités arméniennes, grecques et juives. 

Ce premier pas vers la réparation des droits des minorités oubliées cache en réalité le fruit des pourparlers avec les Européens. Au cours du dépôt de candidature pour l’adhésion à l’ Union Européenne, le Premier ministre Recep Tayipp Erdogan a subi des pressions de la part de Bruxelles qui lui imposait de supprimer les lois discriminatoires envers les minorités religieuses.

Ironie du sort, ce même décret ne visait que les biens confisqués après 1936, soit moins de 1% de la totalité des Églises et propriétés de l’Église arménienne saisies pendant le génocide et bien des années suivantes. Face à cela, le Catholicos décide d’envoyer deux lettres à Erdogan en lui demandant la restitution des résidences historiques et des propriétés du Catholicossat de Sis. Les lettres restant sans réponses, le Catholicos intente en avril 2015, un procès devant la Cour constitutionnelle turque. 

Au cours du procès, la Grande maison de la Cilicie se voit adresser une fin de non recevoir, aux motifs que l’Église arménienne n’avait pas enregistré ses biens au moment du décret en 1936. L’hypocrisie du gouvernement turc se dévoile par le jeu des dates, car les derniers Arméniens ont quitté la Cilicie en 1921. Par ailleurs on constate toujours que la Turquie, fidèle à sa politique négationniste, refuse l’accès à ses archives et registres relatifs à ses biens et propriétés. 

Le 8 décembre 2016, le Catholicos Aram Ier décide de se pourvoir devant la CEDH avec pour objectif de faire valoir ses droits dont notamment le droit de récupérer les propriétés appartenant à l’ancien siège du Catholicossat de Cilicie. Statuant à juge unique, la CEDH considère que les motifs institués par les avocats du Catholicos sont irrecevables. Pire encore, cette décision judiciaire ne pouvait faire l’objet d’un appel ! En effet, le juge qui a statué sur ce procès a envoyé la notification de non-recevabilité… à la mauvaise adresse. Le Catholicossat a  » exprimé sa grave inquiétude sur une erreur judiciaire  » car le délai de prescription était échu. Il faut aussi souligner qu’à l’été 2016, le gouvernement turc faisait face à une tentative de putsch d’État, ce qui engendrait la mise en suspension des droits et libertés des citoyens et l’anéantissement du pouvoir judiciaire. En définitif, le Catholicos Aram Ier n’avait pas pu épuiser toutes les voies de recours judiciaires, avant de se pourvoir devant la CEDH, ce qui lui a prévalu la non-recevabilité de sa demande. 

Le 19 octobre 2017, lors de son allocution à Bruxelles, le Catholicos Aram 1er a violemment condamné la CEDH :  » Pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle rejeté aussi facilement notre procès, tout en sachant qu’aucun avocat n’oserait présenter ce procès devant un tribunal turc ? Comment un seul juge peut-il rejeter une requête de 900 pages, bien documentée historiquement et juridiquement par les meilleurs avocats internationaux ? Pourquoi notre équipe juridique n’a-t-elle pas eu droit à une seule audience ? Est-ce que désormais tout le monde a peur de se confronter au palmarès épouvantable des violations des droits de l’homme de la Turquie ? Nous sommes stupéfaits et, en vérité, profondément déçus par cette erreur judiciaire, en particulier à ce moment crucial de l’histoire moderne, alors que l’on attend de l’Europe quelle fasse passer la justice avant les intérêts géopolitiques, dans la fidélité à ses valeurs et ses principes. L’Europe est essentiellement une communauté de valeurs, pas simplement d’intérêts économiques et politiques. Par conséquent, j’espère toujours que la Cour européenne des droits de l’homme va reconsidérer la recevabilité de ce procès sur la base de la justice et des droits de l’homme. En dépit du déni de justice, le peuple arménien continuera à se battre pour la justice.  » 

Le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme est en effet de veiller au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dont le droit de propriété constitue une garantie inviolable des droits fondamentaux. En réalité, en rejetant la demande du Catholicos, cette instance juridique censée prôner la paix et la justice, ne fait que renforcer le mouvement de lutte engagée par la communauté arménienne du monde entier pour la restitution des propriétés spoliées.

Ne soyons pas les spectateurs d’une Europe qui piétine les droits et libertés fondamentales pour sauvegarder ses intérêts diplomatiques et économiques ! Soyons acteurs de la cause arménienne : la restitution de nos terres, la reconnaissance internationale du génocide des Arméniens, la pénalisation d’un négationnisme d’État qui gangrène toute la diaspora turque, ne sont pas des questions politiques, et doivent créer un consensus entre tous les Arméniens de la diaspora, de l’Arménie et de l’Arstakh. 

Les Églises arméniennes de Turquie sont aujourd’hui détruites, réduites en ruines ou transformées en étables : la restitution de ces terres, biens, propriétés exigera l’engagement de tous. 

Gayané Jourbajian