En quoi l’Arménie a-t-elle été spoliée de ses terres ?

Tout d’abord, la spoliation des terres arméniennes a été rendue possible car elles ont été vidées de leurs populations en plusieurs étapes.

L’éradication humaine commença avec les massacres hamidiens entre 1894 et 1896  : les violences extrêmes qui ont frappé les Arméniens de la fin de l’Empire ottoman sous le règne du sultan Abdülhamid II, entre 1894 et 1896, ont laissé d’innombrables traces dans les mémoires tout au long du 20e siècle et jusqu’à nos jours. Les massacres hamidiens renvoient à la première série d’actes criminels de grande ampleur perpétrés contre les Arméniens de l’Empire ottoman : plus de 200 000 Arméniens furent exécutés.

Ils ont durement frappé et déstabilisé les communautés arméniennes de l’Est, entraînant une catastrophe socio-économique due aux spoliations, d’importantes vagues de conversions, mais aussi de migrations internes et externes, en particulier vers Constantinople et les centres urbains de l’Anatolie, le Caucase, l’Égypte et le Nouveau Monde.

On compte également lors de ces massacres 2500 villages dévastés, 578 églises détruites ou transformées en mosquées.

Elle continua ensuite avec les massacres d’Adana en Avril 1909 : massacres perpétrés par les Turcs contre les populations arméniennes de la ville d’Adana (ville correspondant à la région de Cilicie) à la suite de la contre-révolution ottomane de 1909 qui a dégénéré en une flambée de violence anti-arménienne pendant plus d’un mois.

Des rapports estiment que ces massacres ont fait en tout près de 30 000 victimes arméniennes

Puis avec le génocide perpétré à l’encontre de la population Arménienne en 1915  :la date habituellement retenue pour dater le commencement du génocide est le 24 avril 1915, jour d’une grande rafle de notables et d’intellectuels à Constantinople. Mais les persécutions ont débuté plus de vingt ans plus tôt, comme nous l’avons vu. Il faut envisager le génocide arménien comme un continuum de persécutions, de spoliations et de massacres.

En 1915, les procédures d’élimination sont différentes et l’intention génocidaire est clairement constituée : les Arméniens des centres urbains sont déportés pour éviter un maximum de témoins oculaires. 

Les militaires et l’organe de sécurité ottomans, assistés de leurs collaborateurs, tuèrent la majorité des hommes arméniens en âge de combattre, ainsi que des milliers de femmes et d’enfants.

Des centaines de milliers d’Arméniens moururent avant même d’atteindre les camps de détention, lors de marches forcées dans le désert, à cause de la faim, de la soif, du froid ou de la maladie.

1 500 000 d’Arméniens soit plus de deux tiers de la population totale, périrent durant ce génocide, assassinés ou succombant pendant la déportation et dans les camps.

Pourtant, aujourd’hui encore, la Turquie rejette catégoriquement le terme de génocide.

Mais cette spoliation ne se limite pas seulement à des pertes humaines ; la culture et l’identité arméniennes ont été également été meurtries: 

Les terres arméniennes perdues contiennent encore aujourd’hui des dizaines de milliers de preuves de la présence arménienne: églises en ruines, églises devenues des mosquées, khatchkars, cimetières, propriétés spoliées etc.

D’après les données de l’UNESCO de 1974, des 913 monuments historiques arméniens existants sur le territoire de la Turquie en 1923

  • 464 étaient disparus
  • 252 ne représentaient que des ruines 
  • 197 nécessitaient des travaux de rénovation.

Après des décennies de déni, le patrimoine arménien meurtri resurgit par morceaux : morceaux de khatchkars sculptés maçonnés dans les murs des maisons, pierres tombales recyclées comme marches d’escaliers à Taksim, églises à l’abandon en fontaines restaurées.

La Turquie en vient même à spolier des noms : ils n’utilisent plus le terme « hauts plateaux arméniens » pour parler de la partie Est de son territoire. 

Ou même à s’approprier des noms de villes, de provinces  : plus de 90% des noms propres géographiques de l’Arménie historique sont turquifiés.

 Mêmes des espèces animales sont renommées pour qu’il n’y ait pas de référence arménienne.

La destruction méthodique de l’héritage culturel arménien ou son appropriation illégale est le prolongement du Génocide des arméniens par le gouvernement turc.

Ce génocide culturel continue encore au XXIe siècle avec la destruction du cimetière de Djoulfa dans la région du Nakhitchevan, terre d’origine Arménienne, par l’Azerbaïdjan, qui nie cet acte. Ce cimetière représentait une des manifestations les plus significatives de l’art des khatchkars, présents au nombre de 12 000.

Enfin, l’Arménie a été dépouillée de ses terres de par l’éradication politique : 

Après le Génocide et la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres est signé le 10 août 1920 entre les États victorieux et les représentants de l’Empire Ottoman. Il accorde à l’Arménie un grand territoire. Mais ce traité ne sera jamais appliqué car la Turquie de Mustapha Kemal ne reconnait pas sa validité. La Turquie repart à l’assaut de l’Arménie, extrêmement affaiblie par le Génocide et les maladies, et récupère les terres d’Arménie occidentale.

L’Arménie occidentale volée, il ne reste plus que l’Arménie orientale. Mais celle-ci ne restera indépendante que 2 années et 6 mois, du 28 mai 1918 au 29 novembre 1920 : date de sa soviétisation. A partir de cette date, l’Arménie n’existe plus en tant qu’Etat indépendant, il s’agit d’une éradication politique du peuple arménien de la scène internationale, jusqu’en 1991.

Les violences de masse ayant engendré l’éradication des Arméniens de leur territoire ont entraîné la destruction du patrimoine monumental et des traces de l’ancrage millénaire disséminées sur le territoire arménien au cours des siècles. 

La Turquie se doit donc de revisiter son passé, de regarder son histoire en face et d’accepter la vérité en assumant ses actes. Le négationnisme ne peut pas être une option éternelle.

Maxime Mazmanian