24 avril 2020 : quel avenir pour la diaspora ?

Le 24 avril les Arméniens du monde entier commémorent le 105e anniversaire du génocide de 1915. Institution mémorielle, la date du 24 avril engage de moins en moins semble-t-il les Arméniens de France, à titre personnel ou militant. L’analyse des menaces qui pèsent sur la diaspora et ses faiblesses alimente sans toujours le vouloir un défaitisme ambiant qu’il est impératif de contredire et de combattre. C’est un message d’espoir et de confiance que les militants de la cause arménienne doivent véhiculer. Cette guerre de communication, tout le monde peut la mener.

24 avril 2020 : le début de la fin ? 

Chaque 24 avril, en Arménie et dans le monde, les descendants des survivants du génocide donnent la preuve vivante que la mort n’a pas eu raison du peuple arménien. Mais le nombre des personnes présentes lors des manifestations et autres événements commémoratifs parait plus faible d’année en année. Ce constat interroge les « հայրենասեր »*, parmi lesquels les jeunes militants de la FRA Nor Seround : comment mobiliser les jeunes qui ne sont pas engagés ? comment les pousser à s’investir dans les associations ? que faire pour qu’ils vivent pleinement leur arménité ? 

En ce début de vingt-et-unième siècle, la diaspora est confrontée à des défis sans précédent dus au tournant économique et social planétaire que nous traversons : mondialisation, consumérisme, développement d’une « identité-monde », individualisme et « désenchantement du monde ». 

Si la diaspora arménienne subit ces phénomènes malgré elle, il est des critiques qu’elle se formule elle-même et qu’on retrouve dans certains discours et ouvrages de pensée : la diaspora de France, née pour partie du traumatisme de 1915, porte sur elle-même et le monde qui l’entoure le regard d’un peuple résigné ; les structures historiques qui l’ont façonnée (associations et médias principalement) sont aujourd’hui vieillissantes. Ces faiblesses seraient indépassables à court terme notamment par la trop grande diversité des communautés et l’absence d’une volonté commune réelle pour le développement d’une diaspora forte et unie.

La diaspora victime du procès qu’elle se fait à elle-même

Si les critiques sont constructives, elles peuvent, sans esprit positif et combatif, affaiblir l’espoir et la volonté de trouver les solutions adaptées. 

L’unique richesse des Arméniens à travers les siècles a été leur force de vie. Pendant le génocide, cette force de vie s’est manifestée à l’échelle individuelle. Après le génocide, elle s’est appliquée à l’échelle d’un peuple : pour préserver son héritage, transmettre et prospérer. Avec des discours résignés ou pessimistes, on oublie que la plus grande bataille pour la vie a déjà été gagnée il y a un siècle. Aujourd’hui notre devoir est d’avoir confiance et d’avancer. Seule l’action diverse, de tous, et mue par une foi inébranlable donnera tort au défaitisme. Seule la fierté de ce qui a été accompli et l’engagement de chacun à répondre aux défis de notre siècle garantira l’avenir de ce qui a été sauvé et son épanouissement dans la modernité.

La diaspora porte en elle sa promesse de vie

La diaspora porte en elle-même son pouvoir de régénération. Du grec « dia-sporà », elle marie dans son étymologie dispersion et ensemencement. Les graines dispersées donnent la vie à partir d’un héritage préservé. Cette vie tirant sa force des racines est promesse d’avenir.

Après 1915, le peuple arménien s’est retrouvé dispersé aux quatre coins du monde dans des proportions et des circonstances sans précédent. Malgré la dispersion et la perte, les Arméniens ont su reconstruire, transmettre et prospérer. Ils ont même fait plus, en s’intégrant dans les sociétés d’accueil et en jouant leur rôle de citoyen à part entière. Si aujourd’hui, certains s’assimilent, d’autres prennent à bras le corps leur double identité. Et « il suffit que deux Arméniens se rencontrent, n’importe où dans le monde pour qu’ils créent une nouvelle Arménie » (W. Saroyan).

Le peuple arménien, un « peuple-monde »

Par sa dispersion aux quatre coins du globe, le peuple arménien est à la fois un « peuple-monde » et un peuple témoin du monde. Il est le témoin privilégié du syncrétisme culturel unique au carrefour de l’Orient et de l’Occident, et par toutes les communautés intégrées à des degrés divers dans les pays d’accueil des différents continents. « Peuple-monde », il a la capacité d’investir une double identité, l’identité arménienne et celle de son pays de résidence. 

La diaspora oblige l’Arménien à conjuguer sur une même ligne de vie plusieurs réalités : citoyen d’un État, gardien d’une Arménie d’âme, acteur depuis 1991 d’une Arménie de chair. Pour tout ce qu’il représente, il est de son devoir de lutter contre l’envahissement d’une identité lisse et globalisée. De se penser historiquement et culturellement comme Arménien dans tous les espaces de vie dans lesquels il pourrait évoluer. L’identité arménienne en diaspora existe au-delà de sa diversité. Elle est ce qu’un peuple emporte avec lui lorsque des aléas le contraignent à se déplacer : une langue, une religion, une culture, des valeurs et des combats.

La diaspora est une chance. Elle offre des perspectives et des opportunités à l’échelle du monde : études, travail, projet de vie. Les jeunes ont l’opportunité unique de se forger une expérience du monde facilitée par la présence des Arméniens dans le monde entier. Et de relayer cette expérience sur les réseaux sociaux à la faveur d’une communication positive permise par une diaspora mondialisée.

Communiquer collectif, communiquer positif

Un sentiment d’infériorité post-génocide aurait longtemps affecté et affecterait encore les descendants des survivants du génocide de 1915, brimant leur créativité et leur capacité à aller de l’avant. Si cela est ou a pu être, ce n’est peut-être plus l’affect individuel dont il faut le plus se méfier, pour la jeunesse en tout cas. Née dans le confort et la sécurité, elle n’a pas de mal à affirmer sa valeur personnelle avec l’avènement des réseaux sociaux. 

En revanche, l’individualisme est un danger qui sera renforcé si l’identité arménienne ne donne pas matière à une communication positive et tournée vers le collectif. Il faut être fier d’être Arménien et se réjouir de tous les succès, petits ou grands, qui portent notre combat pour la vie et font vivre notre communauté. 

Des hashtags identitaires revendicatifs circulent notamment sur Twitter (« tu sais que tu es Arménien quand », « fier d’être Arménien »…). Si les messages sont individualistes, ils se rattachent malgré tout à une identité collective positive qu’il faut encourager et encadrer de sorte à favoriser transmission de l’héritage et avancée dans la modernité. 

Richesse associative et Arménie libre, assurances-vie de la diaspora

Les organisations communautaires nées après le génocide vieillissent peut-être, mais cela ne peut justifier la diminution des bénévoles engagés pour la cause arménienne. D’abord, la cause est multiple : culturelle, religieuse, éducative, sportive, politique, économique… Des associations vieillissent et d’autres naissent, des supports de communication déclinent quand d’autres ont plus de succès. Ces éléments sont conjoncturels. 

Ce qui compte, c’est l’association dans son sens originel : la réunion de personnes dans un intérêt commun. Dans un monde ouvert aux multiples distractions, le défi aujourd’hui est de garantir la diversité de l’offre pour qu’un maximum de personnes puisse s’y retrouver. La diversité associative est une richesse sous condition de respect et d’enrichissement mutuels.

L’Arménie libre et indépendante participe de cette diversité de choix et d’ouverture. Elle offre la possibilité de se forger « sa propre Arménie », selon ses capacités et ses envies, et de déterminer en fonction son degré d’engagement. Elle offre pour ceux qui le souhaitent la possibilité de s’installer au Yerguir, ou de concevoir celui-ci plutôt comme un lieu de passage et d’ouverture vers le monde. 

Et pour la communauté des militants ?

Les militants représentent peut-être la forme la plus aboutie de la diaspora. Pleinement intégrés dans leur pays de résidence, ils portent résolument leur identité arménienne et en font le moteur de leur engagement. Certains visitent leurs terres ancestrales en Arménie occidentale et rêvent d’avenir. D’autres vivent leur rêve d’habiter enfin la mère patrie et tout l’amour qu’ils lui portent transparaît dans le nom qu’on leur donne : « հայրենադարց »*.

La force des militants, c’est une sensibilité exacerbée à l’identité et à la patrie, animée par des paroles d’une foi inébranlable : « հայրենիքն է իմ հոգում սրբազանացած »*. Au Yerguir ou en diaspora, cette Arménie est force de vie.

*patriote

*personne qui retourne vivre dans sa patrie

*la patrie est sanctifiée dans mon âme

Méliné Matossian

Article qui paraîtra également dans l’édition du 24 avril de France Arménie