Projet de loi de pénalisation de la négation du génocide des Arméniens

La Loi du 29 janvier 2001 édicte que « La France reconnait publiquement le génocide arménien de 1915 », et pourtant, malgré les différentes propositions de loi, la négation de ce génocide reste encore impunie. Comment comprendre que la pénalisation de la négation d’un génocide ne puisse être applicable au cas arménien au même titre que celle de la Shoah ? Rappelons que le concept de négationnisme avait été érigé dans le rang des infractions pénales françaises depuis la Loi Gayssot du 13 juillet 1990, laquelle fût introduite dans la Loi de 1881 sur la liberté de la presse en son article 24 bis qui dispose que l’infraction de négationnisme est passible d’une peine d’emprisonnement d’un an et de 45 000 euros d’amende.

La Loi du 29 janvier 2001 n’est-elle que déclarative et en ce sens, sans véritable portée ?
En théorie, la loi reconnaissant le génocide des Arméniens est dénuée de toute portée normative. Pourtant, elle a tout remanié. Avant 2001, les hommes politiques français ne s’aventuraient pas à employer le mot « génocide » pour qualifier les faits de 1915. C’est ainsi que depuis l’arrivée des rescapés du génocide en France, une scotomisation immuable s’était emparée de la conscience française, en nous immergeant dans une léthargie commune. Mais depuis la Loi de 2001, même pour les personnalités qui s’opposent à une loi de pénalisation relative à la négation du génocide des Arméniens, « la réalité du génocide arménien est indéniable » (1).

Les faits historiques sont donc officiellement confirmés, mais le débat persiste : le législateur peut-il légitimement intervenir dans le champ de l’histoire ?.
Dès lors que le mensonge offense, diffame, voire menace l’ordre public sur fond d’incitation à la haine, il revêt un caractère délictuel dont l’absence de sanction entraîne, non pas l’amputation d’une partie de la mémoire d’un peuple ou d’une communauté, mais bien celle de notre histoire commune depuis la Première Guerre mondiale. Dans cette hypothèse, il n’est pas question pour le législateur de se substituer à l’historien puisqu’il ne se prononce pas sur l’histoire. N’en déplaise à Robert Badinter, la prise de position du législateur n’équivaut pas à dicter ni la manière dont il faut penser les faits historiques ni celle dont il faut les interpréter. Il s’agit en effet de condamner la contestation publique de la réalité des faits avérés. De même, il convient non pas d’émettre une vérité officielle ou de sauvegarder l’ordre des choses mais bel et bien de défendre la vérité factuelle – établie par les historiens plus que qualifiés – à laquelle est subordonnée la survie de la communauté des hommes. Ainsi, il est tout à fait légitime pour le législateur d’accorder une force normative à la Loi de reconnaissance du génocide des Arméniens de 2001.

Un autre argument tenant à la liberté d’expression et d’opinion n’a pas manqué d’être rabâché par les opposants à la loi de pénalisation du génocide des Arméniens. Une liberté protégée en permanence et à juste titre, mais pas une liberté sans limites. Par exemple, les sanctions liées à l’atteinte à l’honneur, aux injures, à la diffamation, aux discriminations raciales, à l’incitation à la haine permettent d’encadrer le sentiment qui consiste vainement à penser que « je peux tout dire au nom de ma liberté d’expression et d’opinion ». Or, brandir l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 pour nourrir une révolte contre une loi pénalisant les négation du génocide des Arméniens, n’est-ce pas étouffer ce « long cri de la souffrance humaine » que décrivait Jaurès ? Ou bien, il est plus simple de considérer qu’une atteinte à l’honneur « vaut » plus qu’une atteinte à la mémoire ? De nombreuses comparaisons honteuses ont sauvé la Turquie d’une prise de conscience. La désinformation consternante des parlementaires et juristes français les a conduits à prendre des positions honteuses. En témoignent les dires de Michel Troper qui, en comparant le génocide des Arméniens à la Shoah, se méprend en considérant que « La négation du génocide des Arméniens présente des caractères différents. Elle ne s’inscrit pas, fort heureusement, dans un mouvement anti-arménien dangereux » (2). La négation est bien plus subtile et pire encore, elle est aussi vicieuse que les formulations masquées comme « on ne peut pas vraiment parler de génocide, il s’agissait d’une guerre » pour contester la réalité horrifiante de 1915. Pensez-vous réellement qu’un négationniste s’aventurerait à dire « sale race d’arménien » ? Aujourd’hui, oui. Et vous l’avez permis lorsque vous avez, tour à tour, enterré les propositions de loi. L’ordre public n’en serait pas troublé ? Ce n’est pas ce que démontrent les recensements de la rubrique « observatoire du négationnisme » du Collectif Van (www.collectifvan.org).

Mauvaise foi quand tu nous tiens ! Le principe de légalité des délits et des peines constitue à son tour un fondement au rejet des différentes propositions de lois.
L’article 8 de la DDHC dispose que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la France avait eu le courage d’attribuer une force normative à la déclaration du 29 janvier 2001 en pénalisant la négation du génocide des Arméniens, en quoi cela constituerait une atteinte au principe de légalité des délits et des peines ? Il serait en fait question de la marge de manoeuvre laissée au juge pour apprécier si les faits sont constitutifs de négationnisme ou non. Autrement dit, il y aurait des craintes d’arbitraire. Comment ne pas douter de l’altération de la bonne foi des sénateurs lorsque ces derniers ont dégagé leur position à partir d’une jurisprudence (3) incompatible ? En effet, le cas d’espèce concernait le terrorisme et n’avait aucun lien, ne serait ce que minime, avec le cas de la proposition de loi concernant le génocide des Arméniens. On ira jusqu’à pointer du doigt le terme de « condamnation » pour fonder l’existence d’une absence de précision relative à la manière dont il faudrait condamner le négateur…

Plus encore, au Sénat, la perfidie ne cesse de prendre de l’ampleur au fil d’un pseudo raisonnement. Comment Robert Badinter osait-il invoquer l’absence de procès international définissant le génocide des Arméniens ? Avait-on encore besoin d’un procès pour le définir ? Ce même procès qu’avait exigé la France aux côtés de la Grande-Bretagne et de la Russie en 1918 ? Celui qui « aurait dû être imposé par la Conférence de la Paix à Paris en 1919 » (4) ? Ce même procès prévu par l’article 230 du Traité de Sèvres que les alliés s’étaient empressés de dérober à Lausanne ?

Vous avez banalisé un crime contre l’humanité. Vous avez mis la victoire dans les mains du négationnisme. Vous avez couvert un mensonge d’Etat et vous nous demandez encore de prouver.
Alors oui, s’il le faut nous continuerons. À l’image de Marc Nichanian qui déclarait « Dès le début, avant même le début, le perpétreur est là, en face de moi, et il me dit : Prouve-le, prouve-le donc si tu le peux. Et moi depuis 85 ans, je me lève et je le prouve. Depuis 85 ans, le fait est amplement prouvé, prouvé au-delà de toute nécessité, et pourtant, toujours je me lève, toujours je prouve, par moi-même, par mon témoignage (…). Je réponds à l’injonction du bourreau. Il me tient. » -, nous nous lèverons et nous prouverons jusqu’à ce que justice soit faite.

Lilit Hakobian

1 Motion d’irrecevabilité adopté par le Sénat le 4 mai 2011. 2 Michel Troper, « La loi Gayssot et la constitution », Annales.
3 CC. Décision 96-377 DC du 16 juillet 1996.
4 Sevag Torossian, « Vous n’existez pas, négationnisme et mensonges d’Etat».